L’accès à la nature en débat

publié le 29 mars 2024 (modifié le 4 avril 2024)

La loi du 2 février 2023 visait à réglementer les clôtures dans les zones naturelles pour permettre la circulation des animaux sauvages (30 centimètres au-dessus du sol, hauteur limitée à 1,20 mètre ). Elle concernait principalement les enclos de chasse privés, notamment la Sologne où toute la forêt est hermétiquement engrillagée, ce qui empêche la promenade et surtout la circulation de la faune sauvage.

En contrepartie, les propriétaires obtenaient une modification du code pénal : dès qu’une propriété est signalée comme privée, les personnes qui y pénètrent peuvent être verbalisées et recevoir une contravention de quatrième classe (135€), autant qu’une menace de destruction de biens ou qu’une infraction routière grave, alors qu’avant cette loi, il existait une forme de tolérance.

Alors que les propriétaires ont jusqu’au 1er janvier 2027 pour mettre en conformité leurs clôtures, et que la contravention devait être la contrepartie pénale à la modification de ces clôtures, on ne peut qu’être surpris de la diligence de certains à mettre en oeuvre la loi. En très peu de temps, des hectares de forêts ont soudainement été interdits en Chartreuse, dans les Vosges, à Villeneuve-Loubet .

Le colloque « Accès à la nature : enjeux et perspectives”

Le 28 mars, les députés Lisa Belluco et Jérémie Iordanoff conviaient des associations d’usagers de la nature, randonneurs, promeneurs, pratiquants de l’escalade, professionnels de la montagne, des associations de protection de l’environnement, des juristes, des collectifs citoyens, d’autres députés et sénateurs, à un colloque « Accès à la nature : enjeux et perspectives”, pour ouvrir le débat.
Ils avaient déposé une proposition de loi cet automne pour une dépénalisation de l’accès à la nature. Mais cette proposition avait été repoussée la veille en Commission des Lois.

>> Suivre la réunion en Commission des Lois (à partir de 2:39:00) ou en cliquant dans l’ordre du jour, à droite sur« Examen de la proposition de loi portant dépénalisation de l’accès à la nature »

https://videos.assemblee-nationale.fr/

Plusieurs intervenants se sont succédé et ont échangé avec la salle au cours de 3 tables rondes : « En quoi l’accès à la nature est-il décisif ? », « Quel est l ‘état de cet accès en France ? », « Quelle perspective pour élargir l’accès à la nature et que cela soit acceptable ? »

Chacun a pu faire valoir l’importance de l’accès à la nature pour la santé tant physique que psychique, les loisirs (escalade, canyoning, randonnée, etc), l’étude de la biodiversité, la protection de l’environnement et le devoir d’alerte (la propriété privée n’est pas une zone de non droit).

Le droit à la propriété privée

Le représentant de la Fédération nationale de la propriété privée rurale et celui de la fédération des syndicats de forestiers Privés (FRANSYLVA) ont insisté sur le respect de la propriété privée et leurs responsabilités liées à la gestion, à l’entretien et au renouvellement de la forêt. Ils ont pointé leur responsabilité en cas d’accident sur leur propriété, responsabilité contestée par d’autres intervenants citant le Code du Sports. D’après eux, la forêt est indispensable à notre société, mais elle n’est en rien un bien commun. La forêt privée n’a pas vocation à recevoir du public, ils n’ont pas les moyens de le recevoir pour l’informer / l’éduquer, c’est le rôle de la forêt publique donc de l’Etat. 
Ils se sont également retranchés derrière les possibles accidents de chasse. Et nous n’avons pas échappé à la caricature du promeneur qui laisse ses détritus en forêt.

La problématique de la surfréquentation de certains espaces et de ses conséquences a été évoquée. L’idée de "trop de fréquentation de la nature" n’a jamais été évalué, mais il est possible de restreindre l’accès à certains espaces pour préserver la faune et la flore, ou par précaution (incendie).

La nature : « un bien commun »

Pourtant, la confrontation des points de vue a permis de rappeler l’existant et de dégager des pistes de réflexion :
 L’existant : les servitudes de passage, le respect des Plans départementaux d’itinéraires de promenade et de randonnée (PDIPR) et des chemins cartographiés, les chemins ruraux à recenser (beaucoup ont disparu, ou ont été inclus dans des propriétés) pour ce qui concerne la randonnée, et les chartes des Parcs Naturels

 Dans le long terme, comment inscrire la montagne, les glaciers, les rivières, etc. comme des « biens communs », comment concilier le droit à la santé, le droit à l’environnement, des droits inscrits dans la constitution : le droit de circuler et le droit à la propriété.
Le droit à la nature n’est pas une atteinte à la propriété privée. Il y a nécessité à rappeler les limites de la propriété privée. D’après un intervenant, il faudrait distinguer le domicile, la propriété « close » qui entoure le domicile et la propriété « au delà » où l’activité ne nuit pas à la vie privée.

Loic Peyen, docteur en droit à l’Université de Toulouse a confirmé que le problème de l’accès à la nature est un problème spécifiquement français. Il a énuméré un certain nombre de solutions mises en place dans d’autres pays d’Europe, parmi lesquelles :

  • Il existe un droit à la nature dans les pays baltes et scandinaves ;
  • en Suède c’est même inscrit dans la constitution. Ils n’ont pas le même rapport à la propriété privée de manière générale, et avec la nature en particulier.
  • En Allemagne, depuis 2009, le droit à la nature est supérieur à la propriété privée, et il garantit à tous les citoyens et citoyennes de pouvoir accéder aux espaces naturels partout, et à tout moment.

La consécration d’un droit ne suppose pas qu’on y fasse n’importe quoi, il y a des contraintes et des limites à poser : droit de passage ? de camping ? de cueillette ? de chasse ? Etc.

Le chemin est encore long pour faire évoluer nos mentalités et donc notre droit en France où l’obstacle prépondérant est notre conception de la « Propriété privée »

 Dans le court terme, une solution se trouve dans le dialogue et la contractualisation entre les différentes parties concernées : propriétaire privé et associations/parcs naturels/collectivités territoriales.

Amis de la Nature France fait appel à vous

  1. notez toutes les nouvelles pancartes "propriété privée, défense d’entrer" qui sont apparues sur vos chemins habituels (c’est bientôt le printemps, profitons-en !)
  2. faites remonter ces informations à la fédération par mail avec, si possible, la localisation de ces pancartes.
  3. faites remonter aussi toutes les modifications de tracés et éventuellement les solutions mises en place
  4. prenez rendez-vous avec le maire, mais surtout avec le député de votre circonscription, quelle que soit son appartenance, en lui déposant la déclaration de Amis de la Nature - France qui se trouve ci-dessous et qui contient les seuls arguments que nous défendrons.
  5. faites savoir à la presse locale et autour de vous la position des Amis de la Nature. Partout où c’est possible, prenez contact avec les associations qui pratiquent la nature .
  6. informez régulièrement la Fédération du résultat de ces prises de contacts.

Reprenons la lutte de nos anciens pour la libre circulation dans une nature respectée.

La délégation de Amis de la Nature - France au colloque du 28 Mars 2024